Trottinette électrique : le défi du « made in France » – Les nouvelles les plus importantes de la journée

Publié le 12 décembre 2022 à 7h00
Situé dans la banlieue de Grasse (Alpes-Maritimes), le local ne ressemble pas à grand-chose. Dans ce bâtiment de béton rudimentaire, des charpentes métalliques s’entassent au milieu de pièces électroniques, de câbles électriques et de batteries au design massif. Au milieu de cette caverne d’Ali Baba où le froid de novembre commence à s’engouffrer, quelques employés s’affairent à assembler des trottinettes électriques. Chez Eccity, la procédure prend environ deux jours par véhicule. Et même cinq pour le scooter à trois roues, unique au monde dans sa catégorie, que l’entreprise a développé et breveté.
Christophe Cornillon, le patron fondateur de la PME aux dix salariés à temps plein, est très fier d’avoir développé, pendant onze ans, un savoir-faire français dans une industrie écrasée par la Chine : « Moi-même utilisateur de deux-roues, j’ai développé avec un ami le premier prototype dans mon garage avec une idée simple : fabriquer un scooter électrique en adéquation avec le degré d’exigence des consommateurs européens.En 2011, la technologie était en plein essor en Chine.A Pékin ou Shanghai, des nuées de petits deux-roues rarement dépassant les 40 km/h ont envahi l’espace public, dans un silence aussi déroutant qu’apaisant pour les visiteurs venus de l’Ouest.
Transfert de technologie inversé ? « Au tout début, on n’a rien inventé : on a un peu rétro-conçu les scooters chinois, mais ensuite on a identifié les faiblesses et travaillé à développer un produit plus solide, plus endurant, avec une tenue de route irréprochable et des performances comparables à un 125. Moteur à combustion interne au centimètre cube. Le tout dans l’idée de produire le plus localement possible. Une décennie plus tard, le pari technique s’avère payant.
Les différents modèles de scooters Eccity sont plus chers que ceux de la concurrence chinoise (de 7 000 à 10 000 euros pour un équivalent de 125 cc) mais se démarquent par leurs performances. Parler de délocalisation n’est pas un abus de langage : « Un tiers de la valeur du véhicule vient de France, un autre tiers d’Europe, et le reste est asiatique ou nord-américain », calcule Christophe Cornillon. Le savoir-faire principal est français.
Une trottinette électrique partiellement « made in France » ? A l’ère récente de la mondialisation triomphante, l’idée aurait presque pu sembler absurde tant la Chine est passée maître dans la production de masse de petites machines livrées par containers entiers. Mais les temps pourraient commencer à changer. Non pas que le « made in China » ait disparu : il continue de couler. Mais le marché commence à vraiment décoller et certains acteurs français commencent à croire aux avantages compétitifs des savoir-faire nationaux et européens.
C’est le nombre de deux-roues électriques immatriculés en 2021 en France.
« Le marché a commencé à bouger depuis très peu de temps », explique Jean-François Girard, en charge du développement commercial chez Eccity. Une perception confirmée par les chiffres de l’Avere, une association pour le développement de la mobilité électrique. Alors que 22 000 deux-roues électriques étaient immatriculés en 2021 en France, ce chiffre devrait augmenter d’environ 50 % cette année. En cinq ans, il aura quintuplé.
Les causes ? D’une part, l’augmentation du prix de l’essence qui rend du coup les engins capables de « diviser par dix ou vingt le prix au kilomètre » plus attractifs, explique Jean-François Girard. Un scooter électrique consomme environ quatre fois moins d’énergie qu’une voiture électrique. La prise de conscience écologique des consommateurs accentue cette tendance, mais ce sont surtout les nouvelles réglementations qui constituent un point de bascule. Les villes de province mettent en place des zones à faibles émissions, excluant de facto de nombreux deux-roues thermiques. Et à Paris, le stationnement de ces derniers est devenu payant le 1euh Septembre 2022. Un choc électrique.
Nombreuses sont, d’ailleurs, les entreprises un peu vite présentées comme hexagonales et qui se sont contentées de « monter un miroir et de poser un sticker à leur effigie », fustige un connaisseur.
« Depuis quelques mois, il y a une très forte demande », confirme Arek Arzuman, gérant du magasin « Electric Moov » situé dans le XVe arrondissement de la capitale. Dans sa boutique, les véhicules proviennent tous de la deuxième économie mondiale, quitte à être vendus, ensuite, par des marques européennes. Nombreuses sont, d’ailleurs, les entreprises un peu vite présentées comme hexagonales et qui se sont contentées de « monter un miroir et de mettre un autocollant à leur effigie », fustige un connaisseur. Mais « il y aurait de la place pour de vrais produits français, parce que ça rassurerait les consommateurs », assure Arek Arzuman.
C’est aussi le pari fait par E-tricks, une PME auvergnate dont le dirigeant, Frédéric Sartou, affirme assister à « une vraie révolution ». Positionnée sur la production de scooters moins puissants – bien plus simples à concevoir – l’entreprise vise, prochainement, une fabrication à 80 % française – batteries auvergnates, moteurs lyonnais, etc. Elle pourrait voir sa cadence de production exploser. « Jusqu’à présent, nous produisions environ 500 véhicules par an, mais au train où vont les choses, nous pourrions être à 10 000 par an d’ici deux ans et demi », s’enthousiasme Frédéric Sartou qui note que « tous les voyants se mettent au vert ».
Chez Mob-ion, le passage au label « Origine France Garantie » répond autant à une vision politique qu’économique : « durabilité programmée », par opposition à l’obsolescence du même nom. Christian Bruère, le patron et fondateur de cette entreprise, est convaincu qu’un moteur électrique « peut avoir une durée de vie d’une vingtaine d’années ». Dès lors, tout l’enjeu est de garantir cette pérennité afin de rentabiliser les machines sur le long terme. « Il faut se focaliser sur le prix réel d’un produit, calculé sur toute la durée de vie du scooter », résume Christian Bruère qui rappelle que « c’est au bout du bal qu’on paie les musiciens » et juge qu’il devient alors « possible d’être plus compétitif que les produits chinois ».
Produire des appareils jetables au moindre coût ? C’est exactement l’inverse que visent les quelques pionniers français du secteur. Un changement de modèle économique est à l’œuvre, qui consiste à construire des appareils les plus durables possibles, et à inventer de nouveaux modèles de distribution.
Mob-ion revend ses scooters à une société financière avant de les racheter en fin de contrat. Le client final, quant à lui, loue son véhicule pour deux ans. Dès lors, chaque pièce du véhicule est pensée en fonction de sa capacité à être réparée ou recyclée – comme ces garde-boue quasiment incassables ou ces fourches conçues pour que la majorité des composants soient réutilisables. Mais le principal enjeu de cette éco-conception est de réussir à « faire durer les batteries douze ans ». Quelques années dans un scooter à la puissance très finement calculée puis, pendant les deux derniers tiers de leur durée de vie, dans des dispositifs de stockage d’énergie à usages multiples.
Car la batterie et le système électronique qui l’entoure constituent près de la moitié de la valeur d’un véhicule. Dès lors, l’objectif de ces PME tricolores est d’aller le plus loin possible dans la fabrication et la gestion de systèmes intelligents. Et c’est là, notamment, que le savoir-faire hexagonal aurait une carte à jouer, assurent-ils. Mob-ion, par exemple, a un partenariat avec le CNRS et le CEA.
Eccity travaille avec une entreprise bordelaise pour que le logiciel qui supervise l’utilisation de la batterie soit conçu dans cet objectif, dans un va-et-vient constant avec ce prestataire « ce qui serait impossible avec un fournisseur chinois », assure Christophe Cornillon. Une expertise qui fournit des diagnostics précis à tout moment de la vie de la batterie, ce qui la rend beaucoup plus sûre et peut lui faire vivre jusqu’à trois fois plus longtemps.
L’entreprise grassoise a également breveté son propre système de ventilation des batteries. « Les spécialistes comparent parfois les batteries à de la viande fraîche : les faire venir de Chine pour les stocker dans des hangars n’a pas beaucoup de sens car les cellules lithium-ion se détériorent avec un tel traitement », résume Christophe Cornillon qui plaide la cause du « circuit court, comme dans l’agriculture ». « . A terme, l’entrepreneur espère même arriver à une technologie permettant de traiter chacune des cellules composant la batterie de manière isolée – là encore, avec des PME françaises prometteuses.
Si nous fabriquons des produits qui durent, que peuvent nous vendre d’autre les Chinois ?
Christian Bruère, patron et fondateur de Mob-ion
Il l’assure : « Aujourd’hui, nous avons toute la chaîne de valeur en France : des entreprises qui savent assembler des cellules, d’autres qui sont expertes dans l’encadrement des batteries tout au long de leur durée de vie, nous qui savons les intégrer. dans les véhicules, les réparer et les recycler, et bientôt, la production de lithium sur le sol national qui permettra même d’avoir nos propres cellules. »
La France disposera alors, s’enthousiasme-t-il, de « toute une chaîne de compétences pour produire des batteries bien plus écologiques que les chinoises ». Même optimisme pour Christian Bruère : « Si on fait des produits qui durent, qu’est-ce que les Chinois pourront nous vendre d’autre ? »
Il y aurait bien sûr de nombreuses mises en garde à ajouter à cette image. La fragilité de l’écosystème industriel national met chacun à la merci de tel ou tel blocage chez un constructeur. Mais comme le résume Bertrand de la Tour d’Auvergne, expert des nouvelles mobilités et l’un des pionniers du secteur, qui a notamment dirigé Segway en Europe, « nous avons les compétences nécessaires pour créer tout un écosystème en France, il n’y a que la volonté » Alors que le marché décolle, ce dernier appelle à changer de regard : « Des milliards ont été investis dans des applications de location de scooters qui n’ont pas encore prouvé leur rentabilité, alors que nous avons des PME industrielles prometteuses qui développent un vrai savoir-faire mais trouvent eux-mêmes à la rame à travers l’océan Pacifique ! »
A demi-mot, celles-ci ne manquent pas : « Nous avons conçu nos modèles en pensant à la production de masse et aujourd’hui nous avons besoin de passer à l’échelle », confirme Christophe Cornillon, convaincu d’aller « dans la bonne direction » mais inquiet de l’incertitude économique actuelle. Dans une activité dont les besoins en capitaux sont élevés, les premiers investisseurs, enthousiastes mais aux capacités limitées, ne suffisent plus : c’est le soutien d’industriels lourds qui semble désormais indispensable pour atteindre la taille critique.
Convaincu qu’une forme de démondialisation est en marche, Bertrand de la Tour d’Auvergne veut fédérer les énergies. Il tente de créer un cluster français « en rassemblant des industriels, des bureaux d’études et divers acteurs de premier plan, dont des acteurs puissants de la distribution spécialisée qui pourraient ensemble attirer de grands fonds d’investissement ». Des fonds d’impact, notamment, qui seraient ainsi convaincus « que ‘hardware’ ne doit plus être un gros mot » et peuvent être « créateurs de valeur dans un marché en pleine transition ». Il affirme rencontrer « un très fort intérêt » et estime qu’il y a « des centaines d’emplois en jeu ».

Reste que l’audace des pionniers devra être entendue et soutenue, y compris par les pouvoirs publics. Un protagoniste du secteur avoue avoir constaté « le désintérêt manifeste de certains ministres » et constate qu’il est « difficile de trouver des interlocuteurs politiques ». Un autre pointe la manière dont les communautés espagnoles, allemandes ou italiennes soutiennent en commande leurs propres PME nationales, quand leurs homologues français privilégient souvent le prestataire le moins cher – donc chinois. Vous avez dit réindustrialisation ?
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